Dès le début de cette histoire en trio (formé en 2016 à l’Europa Jazz Festival du Mans) nous voulions aller le plus loin possible ensemble. Le premier album éponyme paru en 2019 est le témoin de notre rencontre, celle de trois explorateurs d'espaces sonores qui gravitent les uns autour des autres. Nous avions déjà plus de matière qu’il n’en fallait et l’envie d'un nouvel album était réelle tant la circulation entre nous était évidente. Plusieurs fois reporté en raison de l’épidémie, il nous aura fallu finalement peu de temps pour nous lancer vers un nouveau cap.
Nous avons préparé In—Visibility de la même manière que le premier album, nous avons signé la musique à deux en imaginant les options de pilotage que prendrait Tom. Paré pour l’expédition, le trio s’est retrouvé à l’Opéra de Lyon en mai 2022 pour le départ d’une tournée qui passerait par la Bretagne avec une escale au Studio Peninsula de Sarzeau, dans le golfe du Morbihan.
Au premier jour de répétition, treize morceaux se sont imposés. Le lendemain ils prenaient vie sur scène et quelques jours plus tard les micros du studio les absorbaient. Pendant plusieurs semaines nous avons cherché des titres aux morceaux. Certains plus énigmatiques nous évoquaient des « satellites » dérivant au gré d'une poésie de l'instant, du non-dit, du ressenti, comme on pourrait imaginer des particules qui s’effleurent ou se percutent dans le vide sidéral. Il nous est apparu qu’à nous projeter dans toute cette imagerie astrale nous retrouvions ce qui nous fait vibrer dans la musique, se trouver parfois dépassé par ce qu’on n’a pas vu venir et faire un pas de géant vers qui nous sommes.
Pointer la lunette vers une zone, explorer et fouiller tous les recoins avec patience et humilité pour dénicher la perle, c’est peut-être ce qui nous est arrivé au moment de jouer le rappel du concert public enregistré au studio, une version suspendue d’un morceau oublié de Bill Evans, « Orbit », un morceau caché derrière tant d’étoiles lumineuses qui attendait notre trio depuis des décennies.
Ce bruit de papier qui flotte dans les mains de Tom Rainey et qui semble s’envoler vers l’infini aura été le dernier son de la séance d'enregistrement, c’est ce bruissement fragile qui nous semblait conclure le plus naturellement cet opus, en apesanteur totale.